Droit d’auteur ou copyright, un faux débat ?

J’entends que l’on discute le droit d’auteur. Internet gronde, le monde tremble sur ses fondations. Loin de moi l’idée de prendre partie, de dénoncer tel ou tel abus des pratiques actuelles ou à venir. Que ce soit avec humour ou passion, d’autres l’ont déjà fait mieux que moi. Ce que je veux, c’est faire un point sur le débat en cours et proposer quelques pistes de réflexion, pointer du doigt certaines questions que nous, acteurs du numérique, ne pourrons laisser de côté quel que soit l’avenir que le droit et la pratique nous réservent.

Il y a, d’abord, cet épineux débat entre le droit d’auteur et le copyright. Depuis quelque temps, la toile s’anime de ce problème qui, au fond, n’a rien de bien nouveau. Le droit d’auteur, privilégié jusqu’ici par la France et la majorité des pays francophones, serait obsolète au regard de la révolution numérique ; le copyright, équivalent anglo-saxon, y serait davantage adapté. Il faudrait donc abandonner les DA au profit des fameux ©.

Mais quelles sont, au juste, les différences entre ces deux notions ? Comme nous le remarquions récemment via twitter (en réponse aux prospections de Neil Jomunsi), trouver un tableau clair et récapitulatif de la question est, aujourd’hui que le besoin s’en fait particulièrement ressentir, quasi-impossible. Au prix de recherches interminables dans les méandres du net, nous avons fini par trouver, malgré tout, notre bonheur. Une fois n’est pas coutume, c’est le CNRS qui nous en gratifie (non pas que je méprise les chercheurs du CNRS : ils produisent de très belles choses mais s’évertuent, dans la grande tradition universitaire française, à les rendre tout à fait inaccessibles). Nous voici donc en présence d’un premier outil de travail.

Un rapide coup d’œil sur cette étude et un premier constat : les différences entre les 2 sont très faibles. On se demande comment quelqu’un pourrait, en toute conscience, détester l’un et adorer l’autre tant la frontière est poreuse entre ces notions (c’est pourtant bien ce que l’on observe sur Internet !). Il me faut toutefois être honnête : sur le plan des droits moraux, les DA et le copyright ne se ressemblent pas. À dessein, les Anglo-Saxons ont limité les droits moraux pour protéger l’œuvre en premier lieu ; la tradition des droits d’auteur, à l’inverse, privilégie l’auteur, placé au centre du dispositif juridique. Si nous étions mauvaise langue, nous dirions que le copyright est en parfaite adéquation avec la pensée libérale d’Outre-Manche (et d’Outre-Atlantique), qui cherche à limiter les freins à une exploitation économique de l’œuvre. En gros, on n’empêche surtout pas la société de produire de la richesse, ce serait une hérésie (pire, de l’interventionnisme, voire du communisme ! McCarthy se retourne sans sa tombe).

Dès lors, s’il fallait choisir entre DA et copyright, et sans porter de jugement sur l’une ou l’autre des idéologies qui sous-tendent ces notions, je pense que le copyright est mieux adapté à la transition numérique. Mais c’est un choix « au moins pire » et pas à l’idéal ! Évidemment, le droit de repentir ou de retrait, spécifique au droit d’auteur francophone, n’a aucun sens à l’heure de l’édition électronique. Une fois qu’un fichier a été diffusé, parfois vers les machines de millions d’utilisateurs, comment l’auteur pourrait-il le retirer et en empêcher le partage ultérieur ? Encore n’est-ce là qu’une des caractéristiques des DA qui nous paraissent aujourd’hui totalement dépassées. En fait, les DA sont rendus obsolètes par les pratiques du numérique, leurs règles n’existent plus car elles sont naturellement transgressées. Force nous est d’admettre qu’à l’heure où l’ebook devient, de plus en plus, un produit numérique comme les autres, le copyright lui sied mieux que son homologue francophone.

Pour autant, nous gageons que le vrai débat n’est pas là. À terme, DA et copyright mourront faute d’évolution radicale des textes juridiques. Peut-être l’avenir de la protection des écrits est-il à chercher du côté des licences, que de nombreux acteurs du numérique accueillent comme les solutions du futur. Les Creative Commons, par exemple, sont un moyen souple de protéger une œuvre au regard de la loi sans tomber dans les excès rigoristes de leurs ancêtres. Subsistent néanmoins des zones d’ombre dès qu’il est question de l’usage commercial du livre : le risque est de voir fleurir des centaines de licences différentes, ou pire, une licence propre à chaque ouvrage. Comme me le faisait remarquer un ami éditeur, dans le cas de livres complexes mêlant tableaux, graphiques, illustrations, différents types de texte, on peut imaginer des licences courant sur 3 ou 4 pages, réglementant séparément l’usage de chaque partie du livre. Loin de faciliter la liberté de circulation, ce nouveau système donnerait naissance à de véritables « conditions d’utilisation » en petits caractères, aussi incompréhensibles que les CGU/CGV des sites Internet. Là où le droit d’auteur et le copyright disaient la loi et, en quelques articles, englobaient toutes les situations possibles, les nouvelles pratiques du numérique risquent de donner naissance à un système de licences à usage unique, de licences « jetables » en somme, véritables casse-têtes pour les juristes.

Voilà où j’en suis sur ce vaste sujet. Sur le ton de l’humour et sans trop y croire, je proposais récemment que l’on remplace les DA numériques par un pourcentage reversé aux auteurs en fonction de la consultation des contenus qu’ils partagent sur le net. Vous êtes auteur, vous êtes donc un acteur d’Internet dans le sens où vous proposez un contenu, indispensable à l’attractivité de la toile. Chaque fois qu’un internaute vient consulter votre contenu, vous recevez un pourcentage infinitésimale du produit des FAI (après tout, Orange vend des connexions Internet parce qu’il y a de bonnes choses sur Internet, qui valent le coup qu’on paye pour les consulter). Plus on consulte vos livres, plus vous gagnez d’argent. Internet devient un gigantesque youboox. Je sais, c’est parfaitement irréalisable (et puis quelle frontière entre une œuvre de l’esprit et un contenu « sans valeur » ? Un tweet, même lu et partagé des millions de fois, doit-il être rémunéré ?) . Mais l’idée est-elle si stupide, à l’heure où tout se monnaye ?

En attendant, le principe de la licence me paraît plus réaliste… Et vous, qu’en pensez-vous ?